« La compétence à se situer“ : comment favoriser l’acquisition de compétences professionnelles chez des adultes en difficulté de réinsertion
À cette étape de l’étude il ne paraît pas utile de proposer un résumé des résumés. Nous avons plutôt l’intention de reprendre ce qui a sous-tendu notre recherche, ce qui a évolué dans notre manière de considérer les problèmes et ce, qu’actuellement nous pensons avoir fait émerger pour faire des propositions utiles dans le domaine qui nous occupe : dire en quoi, à partir d’un regard de plus en plus analytique et scientifique sur les pratiques pour essayer de les comprendre, nous pouvons contribuer à changer les choses.
Entreprendre l’étude des moyens permettant de favoriser l’acquisition des compétences professionnelles, conduisait à poser la question de la didactique dans la formation professionnelle.
Élargir cette question aux adultes en difficulté d’insertion faisait aborder les limites et entrer dans le domaine général de la pédagogie.
Examiner ces deux aspects ensemble nous fit, sans l’avoir pressenti, déplacer le problème en découvrant des angles d’approche plus féconds pour sa résolution. C’est la voie que nous avons essayer de suivre aussi loin que possible.
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Si l’acquisition de compétences est un objet de l’analyse didactique, le public pour lequel sont organisées les situations d’apprentissage rappelle, s’il en était besoin, que l’approche disciplinaire ne suffit pas. Compte tenu du “niveau” de connaissance des adultes concernés et des contenus qu’ils devraient maîtriser, la tâche apparaît insurmontable dans le temps imparti.
La dimension pluridisciplinaire de la formation professionnelle impose une analyse, une programmation, que les moyens mis à disposition des organismes de formation ne permettent pas.
Les formateurs n’ont pas le temps de réaliser cette étude. L’urgence, dans laquelle ils se trouvent alors, les conduit à privilégier l’essentiel, à faire appel à leur intuition et à leur expérience, pour déterminer le “plus important” et à chercher des moyens de le traiter rapidement.
Nous avons pu constater, au regard des résultats obtenus en fin de stage, que leurs pratiques paraissaient adaptées et qu’implicitement elles s’appuyaient sur des éléments pertinents, éclairés par la connaissance des spécificités du public qu’ils accueillaient.
A notre sens, dans ces cas là, la propension des formateurs à trouver en eux-mêmes les ressources de la formation les conduit à se centrer sur la relation en espérant trouver la méthode efficace. Alors la pédagogie “prend le pas” sur l’approche didactique, dans le sens où la pédagogie serait essentiellement relationnelle et la didactique disciplinaire. De notre point de vue, cette dichotomie est artificielle et le recours au seul domaine psycho-affectif de la relation, illusoire.
De plus, l’étude des situations didactiques permet de corriger la caricature selon laquelle la présence d’une situation intermédiaire de formation “cognitive”, entre le message d’apport des connaissances et la réponse attendue en termes de performances, permettrait de distinguer la situation d’enseignement de la situation de formation. Dans l’une, le sujet se “débrouillerait” avec ce qu’on lui a donné, dans l’autre il chercherait ce qu’on veut qu’il prenne. Dans l’une, il y aurait du “savoir” et pas de situation d’apprentissage, dans l’autre, il y aurait des processus à mettre en œuvre. L’enseignant transmettrait un contenu, le formateur développerait des capacités. Ils chercheraient dans les méthodes pédagogiques quelques “potions magiques” pour combler, chez l’enseignant, de supposées lacunes dans “l’art d’enseigner” et favoriser, pour le formateur, les performances des apprenants par des exercices “tout-prêts”. Le problème de l’acquisition des compétences est, en fait, plus complexe. Il ne se réduit pas, d’un côté, à la passation d’un contenu ni, de l’autre, à l’entraînement aux fonctionnements cognitifs.
Pour illustrer ce point de vue, nous avons fait appel aux théories didactiques élaborées dans le domaine disciplinaire des mathématiques (comme exemple) et, de façon plus générale, au modèle d’analyse didactique de M. Roger. En nous y référant nous avons voulu montrer, d’une part, que la didactique avait un objet plus large que la seule étude d’un contenu à acquérir et, d’autre part, qu’elle offrait un cadre de référence opérationnel, pour analyser et construire les situations de formations et les méthodes pédagogiques mises en œuvre. Cette contribution n’est pas décisive pour la didactique, mais elle est inspirée par les cadres de référence de la didactique qui demeure incontournable.
Face aux problématiques (contraintes financières, temps, spécifités du public, finalités) auxquelles sont confrontés les formateurs, aucune des méthodes proposées sur le marché de la formation ne peut répondre, dans sa totalité et à elle seule, aux besoins. Mais parce que nous postulions que ces méthodes, recherchées par les formateurs, se fondaient sur des principes généralisables et adaptables au contexte des formations organisées pour ce public en difficulté d’insertion, nous avons fait un effort particulier pour les analyser.
Nous ne voulons pas reprendre, ici, les débats encore d’actualité autour du bien fondé ou non de ces méthodes. Ce n’est pas notre objet, même s’il est légitime de s’interroger sur l’inconvénient qu’il y aurait à proposer des situations trop fortement “décontextualisées” risquant de produire une disjonction des savoirs peu propice à la concaténation des connaissances, qui s’est révélée un des points majeurs à privilégier chez les sujets. On peut s’interroger sur l’opérationnalisation, dans la vie quotidienne, des aptitudes qu’elles visent à développer, lorsqu’elles axent leur action sur les mécanismes opératoires ou sur le “besoin” de mettre en œuvre certaines attitudes d’esprit. Quant aux généralisations des capacités d’apprentissages (dépassant, donc, le simple transfert) basées sur la répétition, dans des situations où les prises de conscience et les renforcements tiennent à la qualité de la régulation du formateur, le problème reste entier. Nous n’évoquerons pas de nouveau la pauvreté des formations organisées, pour l’essentiel, sur la manipulation de la “boîte à outils”[1]. Objectivement, nous avons pu dire aux formateurs que les moyens dont ils disposaient pour leur formation ne pouvaient leur permettre d’appliquer ces méthodes dans les temps ou les conditions qu’elles imposent.
Cependant, on peut maintenant, à la lumière de l’étude que nous avons réalisée, se situer quant à leurs objectifs, leurs procédés et les moyens qu’elles nécessitent. C’est pourquoi nous avons voulu faire apparaître les présupposés théoriques essentiels sur lesquels elles se fondent et nous n’avons pas hésité à en extraire les principes pédagogiques qu’elles préconisent. Nous pensons avoir montré qu’ils étaient transférables et mis en application, de manière heureuse, dans les pratiques des formateurs à “Médiation”.
Rechercher ce dont on se sert, ou ce dont on peut se servir, dire pourquoi et comment, rendre explicites et cohérentes les pratiques des formateurs permet, en révélant les axes théoriques de l’action formative, de contribuer à l’efficacité des dispositifs d’insertion professionnelle en faisant des propositions concrètes. De ce fait, la partie empirique prend valeur d’exemple. Aux yeux de certains lecteurs ce peut être une faiblesse. Il reste en effet, sur le plan empirique, beaucoup de chemin à faire pour, à la fois, attester par des moyens objectifs de la validité de ces méthodes sur le long terme, et expliciter les mécanismes qui y participent. Ce qu’on sait et ce qu’on voit, dans ce domaine, est certainement peu de chose.
C’est pourquoi, malgré les insuffisances de notre recherche, nous avons consacré beaucoup de temps et d’énergie à l’analyse de ce qui existe pour rechercher les ressemblances et comparer.
Ce faisant, ce travail s’est situé en amont de la didactique. Plus général, il conditionne l’action didactique puisqu’il oblige maintenant à tenir compte d’une condition essentielle à la réorganisation et à l’utilisation des connaissances pour l’acquisition des compétences professionnelles : le développement de la compétence à se situer.
L’étude des tâches et des champs conceptuels reste indispensable à l’organisation des situations didactiques. Mais celle-ci doit être faite en considérant les conditions cognitives de la construction des connaissances, chez le sujet, qui se rapportent à l’importance des référents spatio-temporels. Certes, après Piaget, plusieurs auteurs ont mis à notre disposition de nombreuses théories explicatives du mécanisme de construction des connaissances et des conditions dans lesquelles cela se réalise du point de vue cognitif, psycho-affectif et social. Nous pensons aujourd’hui que la capacité à se situer intervient dans le développement des compétences de l’ensemble de ces domaines. Parce qu’elle favorise la construction du sens (dans l’acception polysémique du mot), elle permet d’aborder la nouveauté et la complexité. Elle est à la fois constitutive et dépendante de la construction de l’image de soi, et participe ainsi à l’épanouissement et l’enrichissement du sujet, dans et par son environnement.
Notre intention initiale était dirigée vers une analyse des situations didactiques dans la formation professionnelle. Nous nous proposions de repérer les contraintes imposées par les contenus à acquérir, d’analyser les représentations et les fonctionnements des sujets en formation et de formaliser des situations didactiques adaptées aux objectifs de la formation.
Les premières rencontres avec les formateurs de “Médiation” nous firent découvrir un contexte et des contraintes, dont la prégnance n’avait d’égale que l’importance des besoins auxquels ils devaient répondre, pour le public dont ils s’occupaient.
En effet, pour ceux qui sont le plus en difficulté, pour qui l’action a entreprendre est d’une ampleur sans égale et pour qui l’enjeu individuel et social est majeur, nous constations une précarité de moyens en personnel, en argent et en temps, que les “grands discours” sur la solidarité sociale ne laissaient pas présager.
Nous rencontrions, cependant, des formateurs et des formatrices motivés, dynamiques et compétents, mais débordés.
On peut dire que leurs questions et leurs attentes étaient d’une importance comparable à leur désir “d’y arriver quand même”. Elles reposaient, rappelons-le, sur la formalisation de leurs pratiques, dont ils constataient les effets positifs sans pouvoir les justifier théoriquement et ainsi dépenser moins d’énergie, en les rendant plus opérationnelles pour, peut-être, aller plus loin dans la réalisation de leurs objectifs.
Un certain nombre de problèmes les préoccupaient. L’absence de correspondance entre le niveau de connaissance évalué à l’entrée en formation et la capacité à acquérir des compétences dans les tâches professionnelles, non seulement les surprenait, mais les conduisait à ne plus se fier aux évaluations traditionnelles, pour construire leur formation. La recherche des éléments, sur lesquels se baser, et des processus, sur lesquels agir, les poussait confusément à espérer une solution dans les méthodes d’éducabilité cognitive.
Ces problèmes nous ont entraîné dans une démarche qui nous a amené à “observer” le terrain de la formation, son public, ses formateurs, à rechercher, par des détours théoriques, des propositions explicatives et des éléments de réponses permettant d’orienter l’action plus efficacement.
Un meilleure connaissance du public et de ses principaux traits psychologiques a permis de dégager un aspect fondamental, dans le processus de disqualification sociale, qui a éclairé les démarches des formations à entreprendre : la capacité à se situer. Centrale dans la problématique d’insertion elle s’est révélée un des facteurs sur lequel la formation pouvait agir, pour favoriser les compétences nécessaires permettant d’atteindre une de ses principales finalités : l’employabilité.
Cette investigation a fait apparaître également que cette capacité est déterminante et touche les domaines du temps, de l’espace, de la communication et, corollairement, de la construction des connaissances.
En poursuivant la recherche des conditions favorables au développement des compétences professionnelles chez des adultes peu qualifiés, et pour répondre aux “comment” et “pourquoi” des formateurs, nous nous sommes tourné vers les méthodes d’éducabilité cognitive couramment proposées pour ce type de public.
Après avoir distingué et comparé leurs caractéristiques et les indications pédagogiques qu’elles préconisent, nous en avons extrait un certain nombre de principes. Nous avons pu montrer que nombre d’entre eux étaient à l’œuvre dans les pratiques de formation à “Médiation”.
La présentation des exemples qui ont suivi cet examen et des situations de formation, font de notre recherche un travail de synthèse de l’expérience plus qu’un travail d’analyse en profondeur des fonctionnements des sujets en formation, qui aurait pu fournir de nouvelles modalités didactiques pour ce type de public.
Dans ce domaine, de nombreuses questions mériteraient d’être approfondies : Quels sont les erreurs, les obstacles sur lesquels les stagiaires tombent inévitablement ? Comment peut-on y remédier ? Lorsqu’un adulte entre en apprentissage, il le fait avec son répertoire de connaissances et d’affectivité. Il apprend dans tous les domaines à la fois en interaction avec autrui. Mais quelles compétences ces “naufragés de la vie” se reconnaissent-ils ? Quels sont les rapports entre ce qu’ils se reconnaissent et ce qui est nécessaire ? Comment favoriser la coordination des procédures maîtrisées isolément ? Le rôle et la place des référents spatio-temporels n’expliquent pas tout dans ce domaine. Le développement du sujet est-il similaire à son fonctionnement et l’acquisition de savoirs identique à la construction opératoire ?
Cependant, comme nous l’indiquions plus haut, si notre référence à la didactique pouvait nous inviter à approfondir ces questions, le présent travail avait pour objectif la recherche (nous pourrions dire plus globale) des conditions d’animation, de gestion et de conduite des actions favorisant l’acquisition d’une compétence professionnelle pour des adultes peu qualifiés et en difficulté d’insertion.
De ce fait, les divers axes de notre investigation (théories didactiques, théories de l’apprentissage, méthodes d’éducabilité cognitive, contraintes de la formation, spécificités du public, pratiques des formateurs, rôles des repères dans la construction des connaissances, place de la complexité dans les situations de formation) ne concouraient pas à démontrer la nécessité de l’éclectisme dans la formation, mais à faire converger vers la formation, dans les pratiques effectives sur le terrain, les divers apports de ces domaines. C’est la dimension “action” de cette recherche car, grâce au rôle de Véronique Bonnal-Lordon dans l’équipe de formation, ces apports ont pu, au fur et à mesure, être directement réinvestis dans l’organisation des actions de formation. Pour cette raison, tout au long de cette étude, nous avons emprunté les détours théoriques qui nous paraissaient nécessaires, en même temps que la formation se déroulait et que de nouvelles questions se posaient.
Dés lors, on peut s’interroger sur ce qui résulte globalement de ce travail outre l’impérieuse nécessité d’une formation théorique approfondie et ancrée dans la recherche, pour les formateurs.
D’une manière générale, même si, peut-on dire, ce qu’il paraît souhaitable de proposer à un public en difficulté ne doit pas être ignoré pour d’autres formations, c’est pourtant à partir des spécificités de notre public que se sont dessinés les axes essentiels que doit privilégier la formation, pour favoriser l’acquisition de compétences professionnelles.
Notre interrogation est partie du constat que les sujets disposaient des connaissances qu’imposait la mise en œuvre de la compétence à acquérir, qu’ils ne savaient pas les utiliser, ou qu’ils n’avaient pas perçu que celles-ci étaient nécessaires. Avec Véronique Bonnal-Lordon nous avons cherché les causes possibles de ce dysfonctionnement. En même temps apparaissaient, chez eux, comme une perte des repères dans les rapports sociaux et dans leur histoire personnelle, un isolement profond et une image de soi trés dévalorisée.
Durant la période d’accueil, dans les entretiens, les situations de groupe, les quelques premiers exercices, se manifestait un déficit grave, dans les capacités du sujet à construire des repères qui se traduisait par de grandes difficultés à se situer dans tous les domaines.
Nos investigations, auprès des formateurs et dans le dispositif de formation, ont révélé une sorte de malentendu entre les objectifs exprimés d’évaluation et d’orientation et leur utilisation, ou plutôt leur absence d’utilisation à ces fins. A partir de leurs pratiques réelles, de nos analyses théoriques et de nos hypothèses, nous avons réorienté explicitement les situations de formation.
L’adhésion des formateurs de “Médiation” à nos propositions nous a rapidement permis d’en observer les effets positifs, directement perceptibles dans les attitudes et les productions des stagiaires.
Nous pouvons affirmer maintenant que s’il faut d’abord restaurer et entretenir le sentiment de compétence, cela ne peut être obtenu sans un travail de reconstruction de l’image de soi. Cette transformation ne peut se réaliser sans que la capacité à construire des repères soit efficiente, en même temps qu’elle concourt elle-même à cette transformation. Pour cette raison, les situations de formation doivent privilégier la communication, les confrontations, l’échange. En effet, le changement de point de vue sur soi passe par l’acceptation du point de vue des autres.
Nous en avons relevé l’importance en soulignant que les difficultés ne ressortissaient pas d’une incapacité à se décentrer de son point de vue propre, mais d’une incapacité à générer une représentation complète d’un point de vue spécifique, liée à la différenciation perceptive de l’ensemble de ses points de vue propres, c’est-à-dire de points de vue différents construits sur un ou des repère(s) établi(s) et maintenu(s) spécifiquement constant(s). Alors, seulement la coordination des points de vue et les relations peuvent être perçues et utilisées. Nous avons pu observer, avec l’exemple des représentations graphiques, que, parallèlement à l’évolution que nous constatons, les sujets deviennent plus compétents dans les tâches qu’ils accomplissent. Ils s’organisent mieux. Ils prévoient. Les comportements impulsifs sont moins fréquents. Leurs actions sont de plus en plus adaptées à l’évolution de la situation.
Ce n’est pas encore suffisant pour que les savoirs nécessaires, même acquis, soient repérés comme pertinents, et utilisés.
Après avoir défini la compétence comme la “mise en actes de connaissances adéquates au(x) but(s) déclencheur(s) et de capacités d’adaptation de la conduite par rapport à une action”, nous avons souligné que l’élaboration de la représentation fonctionnelle de la conduite joue le rôle primordial dans l’acquisition ou la mise en œuvre d’une compétence.
Ensuite, nous avons montré le rôle central des repères spatio-temporels dans ce processus, et postulé que le défaut de constitution (ou la disparition) des repères affecte la capacité du sujet à maîtriser les fonctions et les opérations mentales, nécessaires à la conduite et à la maîtrise de l’action.
La construction et l’adaptation de la représentation fonctionnelle de la conduite ne pouvant se passer de repères fixés par le sujet, un déficit dans ce fonctionnement ne permet pas l’alimentation et l’élaboration d’une représentation de la conduite adaptée. Grâce au rôle joué par la constitution de repères dans l’organisation et l’utilisation de la connaissance nécessaires à l’alimentation de la représentation fonctionnelle de la conduite, la prévision, l’anticipation et l’adaptation à la situation sont possibles.
La capacité à se situer dans l’action, à analyser plusieurs points de vue, à en adopter un comme référence dans un premier temps, grâce à laquelle la représentation de la conduite s’enrichira et sera de plus en plus adaptée, nous paraît essentielle dans la réalisation d’une tâche, et donc dans l’acquisition des compétences.
Cette capacité peut être développée à l’occasion de toutes les situations d’apprentissage, si le formateur crée les conditions qui favorisent ce processus par sa vigilance, son attitude et ses interventions. Dans ce domaine, c’est-à-dire l’action dans et sur l’environnement, de nombreuses prescriptions pédagogiques, relevées dans les méthodes que nous avons présentées, nous paraissent pouvoir servir de guide au formateur.
Pour nous, la plupart des erreurs, des échecs et des “mauvaises” réalisations des tâches professionnelles ont, le plus souvent, pour cause une programmation défaillante de l’action. Elle serait due à un dysfonctionnement de l’alimentation de la représentation fonctionnelle de la conduite lié à un défaut d’utilisation des repères, plus qu’à une absence de connaissance, ou un “handicap” dans les capacités logico-mathématiques. On peut se demander si ce dernier ne pourrait être lui-même causé par un dysfonctionnement de cet ordre.
Pour étayer cette hypothèse, une autre étude devrait être entreprise afin d’éclairer le rôle des repères dans le mécanisme opératoire logico-mathématique et, notamment, dans le “repérage” et la mobilisation des invariants et des propriétés. Le “spatio-temporel” ne serait-il pas, comme le propose D. Hameline (1979, p. 77), “une dimension de la vie mentale permettant un «fonctionnement invariant de la pensée» selon la formule de Piaget : c’est-à-dire le support même de toute capacité” ?
En outre, pensons nous, l’importance du sens que peut revêtir une situation pour le sujet est trop souvent sous-estimée. Il nous semble que la présence ou l’absence de la prise en compte du sens de la situation est une des variables explicatives de l’échec ou de la réussite des formations organisées pour des publics en difficulté d’insertion. La validation de cette nouvelle hypothèse nécessiterait une recherche plus approfondie dans le domaine de l’organisation des situations didactiques, en particulier dans le “champ didactique” et la “mise en scène” des savoirs.
Cependant, c’est à partir de l’importance que lui donnent les théories didactiques que nous avons eu le souci de privilégier ce point de vue par diverses approches, notamment en insistant sur la nécessité de fortement contextualiser les situations de formation professionnelle. Celles-ci doivent être inscrites dans l’environnement de l’exercice réel du métier. Les apports techniques ou technologiques et les séquences de travail sur la maîtrise de la langue, de la lecture, l’écriture et des notions mathématiques doivent se dérouler dans le cadre de l’activité professionnelle et sur le chantier. Ce qui ne veut pas dire que toutes ces activités doivent être basées sur des problèmes simples et des manipulations concrètes soi-disant “adaptés” au niveau du public, ni qu’une décontextualisation ne soit parfois nécessaire à l’acquisition de certains concepts et à leur généralisation.
Nous avons examiné pourquoi l’enseignant-formateur doit veiller à ne pas confondre simple et facile, complexe et compliqué, “facile à comprendre” et “facile à résoudre”. Les situations de formation doivent permettre l’accès à divers niveaux de complexité. Les situations complexes mettent en jeu de nombreuses connaissances concernant les éléments conceptuels, leurs relations, le langage et la relation avec autrui. Elles favoriseront (rendront nécessaires) les opérations d’abstraction, de symbolisation, la recherche des principes fondamentaux et des relations, et permettront des collaborations, des confrontations et des prises de responsabilité. Alors seulement l’autonomie espérée pourra se rétablir et les sujets pourront affronter des situations nouvelles et s’y adapter.
Au demeurant, la formation ne doit pas se limiter à ce domaine et les interventions du formateur être seulement orientées vers la réalisation de la tâche, mais également favoriser l’évolution de la connaissance que le sujet a de lui-même.
La confiance en soi et la compétence à communiquer, acquises par une plus grande connaissance de soi, sont en congruence avec une amélioration de la maîtrise cognitive des situations. Parce que le sujet en formation se reconstruit. Lorsqu’il apprend, il acquiert des concepts, des notions mais il apprend aussi à construire ses outils cognitifs, à les utiliser, il élabore des représentations et il construit son identité personnelle et sociale.
C’est pourquoi les objectifs de la formation doivent s’inscrire dans une perspective plus globale que les apprentissages spécifiques d’une compétence professionnelle. Les capacités à développer visent des compétences plus larges. Elles donneront sens aux activités, parce qu’elles prennent en compte le sujet avec son histoire personnelle, son organisation intellectuelle, à travers des décentrations, des mises en perspective, des projections, des mises en relation. À cela participent les différentes phases de la formation que nous avons présentées, orientées vers l’employabilité, telle que nous l’avons définie.
Sans un travail sur la re-construction des repères, aussi bien personnels, affectifs que cognitifs, qui permettront l’accession au sens de l’action et de la formation, et favoriseront l’acquisition d’une compétence professionnelle qui doit être proposée, parallèlement, dans des situations de “réalité professionnelle” suffisamment complexes et allant vers plus de complexité, la formation risque de ne pas avoir les effets à long termes qu’on peut souhaiter.
Comment nous refuser, en ces dernières pages, de dépasser le cadre de la recherche et d’indiquer les bénéfices professionnels que nous avons pu tirer de ce travail, à titre personnel ?
Éducateur depuis plus de vingt ans, formateur de praticiens, puis formateur des formateurs et responsable pédagogique de la formation des personnels éducatifs de la Protection judiciaire de la jeunesse au Ministère de la Justice, nous n’ignorions pas les problématiques personnelles, familiales, sociales, des jeunes en difficulté d’insertion sociale, scolaire et professionnelle.
L’approche éducative de ces diverses problématiques puise essentiellement dans les champs théoriques de la psychologie clinique, “entourés” de quelques notions juridiques, d’informations sur quelques éclairages sociologiques des phénomènes de délinquance et de marginalisation et, depuis peu, d’une approche philosophique, anthropologique organisées autour de la problématique du “lien social”.
Lorsqu’il est question des apprentissages scolaires ou professionnels la réflexion (quand elle a lieu) se situe dans le courant des travaux de B. Gibello et de P. Higelé pour les dysfonctionnements et les mécanismes opératoires logico-mathématiques, d’une part, et dans le courant des propositions de J. Foucambert pour la lecture-écriture, d’autre part. C’est dire si le champ est restreint dans ce domaine.
Les approfondissements, que notre étude nous a demandés, nous ont permis de porter un regard nouveau sur les problématiques dans lesquelles se trouvent ces adolescents et jeunes adultes en difficulté, à l’entrée de la vie sociale.
A aucun moment nous n’avions perçu, comme aujourd’hui, l’importance de la compétence à se situer et la relation entre la construction des repères et l’image de soi, dans les trajectoires, les problèmes et les difficultés, les attitudes de ces jeunes.
Dire que la restauration de la capacité à construire des repères résoudra les difficultés et s’avérera décisive pour leur réinsertion serait dépasser notre pensée. Mais nous militerons maintenant pour, qu’à minima, on tienne compte de cet aspect dans les actions éducatives et dans les dispositifs de formation qu’on met en place pour ces jeunes, mais aussi pour les éducateurs en formation eux-mêmes. Déjà, nous soutenons des études, des recherches et des expérimentations dans ces secteurs au sein de la Protection judiciaire de la jeunesse.
Enfin au moment de conclure ce travail, nous ne pouvons passer sous silence le plaisir et l’intérêt que nous avons ressenti à travailler avec les adultes en stage à “Médiation” et leurs formateurs ni la part que Véronique Bonnal-Lordon a prise dans notre réflexion et la réalisation de cette recherche.
[1] Témoignons, ici, de l’effort notable que le Centre de formation continue de Paris V est entrain de réaliser pour remédier à ce probléme en introduisant, dans la formation au PEI avec M. Sorel, M. Roger et S. Borie notamment, les principes de l’organisation des actions didactiques et une véritable réflexion sur l’action du formateur.