Conclusion

« La compétence à se situer“ : comment favoriser l’acquisition de compétences professionnelles chez des adultes en difficulté de réinsertion

À cette étape de l’étude il ne paraît pas utile de proposer un ré­sumé des résumés. Nous avons plutôt l’intention de reprendre ce qui a sous-tendu notre recherche, ce qui a évolué dans notre ma­nière de considérer les problèmes et ce, qu’actuellement nous pen­sons avoir fait émerger pour faire des proposi­tions utiles dans le domaine qui nous occupe : dire en quoi, à partir d’un regard de plus en plus analytique et scientifique sur les pratiques pour es­sayer de les comprendre, nous pouvons contribuer à changer les choses.

Entreprendre l’étude des moyens permettant de favoriser l’ac­quisi­tion des compétences professionnelles, conduisait à poser la question de la didactique dans la formation professionnelle.

Élargir cette question aux adultes en difficulté d’insertion faisait aborder les limites et entrer dans le domaine général de la pédago­gie.

Examiner ces deux aspects ensemble nous fit, sans l’avoir pres­senti, déplacer le problème en découvrant des angles d’approche plus féconds pour sa résolution. C’est la voie que nous avons es­sayer de suivre aussi loin que possible.
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Si l’acquisition de compétences est un objet de l’analyse didac­tique, le public pour lequel sont organisées les situations d’appren­tis­sage rap­pelle, s’il en était besoin, que l’approche disciplinaire ne suffit pas. Compte tenu du “niveau” de connaissance des adultes concernés et des contenus qu’ils devraient maîtriser, la tâche appa­raît insurmontable dans le temps imparti.

La dimension pluridisciplinaire de la formation professionnelle im­pose une analyse, une programmation, que les moyens mis à dis­po­sition des organismes de formation ne permettent pas.

Les formateurs n’ont pas le temps de réaliser cette étude.  L’urgence, dans laquelle ils se trouvent alors, les conduit à privilé­gier l’essentiel, à faire appel à leur intuition et à leur expérience, pour déterminer le “plus important” et à chercher des moyens de le traiter rapidement.

Nous avons pu constater, au regard des résultats obtenus en fin de stage, que leurs pratiques paraissaient adaptées et qu’impli­cite­ment elles s’appuyaient sur des éléments pertinents, éclairés par la connais­sance des spécificités du public qu’ils accueillaient.

A notre sens, dans ces cas là, la propension des formateurs à trou­ver en eux-mêmes les ressources de la formation les conduit à se centrer sur la relation en espérant trouver la méthode efficace. Alors la pédagogie “prend le pas” sur l’approche didactique, dans le sens où la pédagogie serait essentiellement relationnelle et la di­dactique disciplinaire. De notre point de vue, cette dichotomie est artificielle et le recours au seul domaine psycho-affectif de la rela­tion, illusoire.

De plus, l’étude des situations didactiques permet de corriger la cari­ca­ture selon laquelle la présence d’une situation intermédiaire de for­mation “cognitive”, entre le message d’apport des connais­sances et la ré­ponse atten­due en termes de performances, permet­trait de dis­tin­guer la situation d’ensei­gne­ment de la situation de formation. Dans l’une, le su­jet se “débrouil­lerait” avec ce qu’on lui a donné, dans l’autre il cherche­rait ce qu’on veut qu’il prenne. Dans l’une, il y au­rait du “savoir” et pas de situation d’appren­tis­sage, dans l’autre, il y aurait des processus à mettre en œuvre. L’enseignant trans­met­trait un contenu, le formateur développerait des capacités. Ils cherche­raient dans les méthodes péda­gogiques quelques “potions ma­giques” pour combler, chez l’enseignant, de supposées lacunes dans “l’art d’en­seigner” et favoriser, pour le for­mateur, les perfor­mances des appre­nants par des exercices “tout-prêts”. Le problème de l’ac­quisition des compétences est, en fait, plus com­plexe. Il ne se réduit pas, d’un côté, à la passation d’un contenu ni, de l’autre, à l’entraînement aux fonctionnements cognitifs.

Pour illustrer ce point de vue, nous avons fait appel aux théories di­dactiques élaborées dans le domaine disciplinaire des mathéma­tiques (comme exemple) et, de façon plus générale, au modèle d’a­na­lyse didac­tique de M. Roger. En nous y référant nous avons voulu montrer, d’une part, que la didactique avait un objet plus large que la seule étude d’un contenu à acquérir et, d’autre part, qu’elle offrait un cadre de référence opérationnel, pour analyser et construire les situa­tions de formations et les méthodes pédago­giques mises en œuvre. Cette contribution n’est pas décisive pour la didactique, mais elle est inspirée par les cadres de réfé­rence de la didactique qui demeure in­contournable.

Face aux problématiques (contraintes financières, temps, spécifi­tés du public, finalités) auxquelles sont confrontés les formateurs, aucune des méthodes proposées sur le marché de la formation ne peut ré­pondre, dans sa totalité et à elle seule, aux besoins. Mais parce que nous postulions que ces méthodes, recherchées par les formateurs, se fon­daient sur des principes généralisables et adap­tables au contexte des formations organisées pour ce public en dif­ficulté d’insertion, nous avons fait un effort particulier pour les analyser.

Nous ne voulons pas reprendre, ici, les débats encore d’actualité au­tour du bien fondé ou non de ces méthodes. Ce n’est pas notre ob­jet, même s’il est légitime de s’interroger sur l’inconvénient qu’il y aurait à proposer des situations trop fortement “décontextua­li­sées” risquant de produire une disjonction des sa­voirs peu pro­pice à la concaténation des connaissances, qui s’est révélée un des points ma­jeurs à privilégier chez les sujets. On peut s’inter­roger sur l’opéra­tionnalisation, dans la vie quotidienne, des apti­tu­des qu’elles visent à développer, lorsqu’elles axent leur ac­tion sur les mécanismes opéra­toires ou sur le “besoin” de mettre en œuvre cer­taines attitudes d’es­prit. Quant aux généralisations des capa­cités d’apprentissages (dépassant, donc, le simple transfert) ba­sées sur la répétition, dans des situations où les prises de conscience et les renforcements tien­nent à la qualité de la régula­tion du formateur, le problème reste en­tier. Nous n’évoquerons pas de nouveau la pau­vreté des formations organisées, pour l’essentiel, sur la manipula­tion de la “boîte à ou­tils”[1]. Objectivement, nous avons pu dire aux formateurs que les moyens dont ils disposaient pour leur formation ne pouvaient leur permettre d’appliquer ces méthodes dans les temps ou les conditions qu’elles imposent.

Cependant, on peut maintenant, à la lumière de l’étude que nous avons réalisée, se situer quant à leurs objectifs, leurs procédés et les moyens qu’elles nécessitent. C’est pourquoi nous avons voulu faire ap­paraître les présupposés théoriques essentiels sur lesquels elles se fon­dent et nous n’avons pas hésité à en extraire les prin­cipes péda­gogiques qu’elles préconisent. Nous pensons avoir mon­tré qu’ils étaient transfé­rables et mis en application, de manière heureuse, dans les pratiques des formateurs à “Médiation”.

Rechercher ce dont on se sert, ou ce dont on peut se servir, dire pourquoi et comment, rendre explicites et cohérentes les pratiques des formateurs permet, en révélant les axes théoriques de l’action formative, de contribuer à l’efficacité des dispositifs d’insertion pro­fes­sion­nelle en faisant des propositions concrètes. De ce fait, la par­tie empirique prend valeur d’exemple. Aux yeux de certains lec­teurs ce peut être une fai­blesse. Il reste en effet, sur le plan empi­rique, beaucoup de chemin à faire pour, à la fois, attester par des moyens objectifs de la validité de ces méthodes sur le long terme, et explici­ter les mécanismes qui y par­ticipent. Ce qu’on sait et ce qu’on voit, dans ce domaine, est certaine­ment peu de chose.

C’est pourquoi, malgré les insuffisances de notre recherche, nous avons consacré beaucoup de temps et d’énergie à l’analyse de ce qui existe pour rechercher les ressemblances et comparer.

Ce faisant, ce travail s’est situé en amont de la didactique. Plus géné­ral, il conditionne l’action didactique puisqu’il oblige mainte­nant à te­nir compte d’une condition essentielle à la réorganisation et à l’utilisa­tion des connais­sances pour l’acquisition des compé­tences profession­nelles : le dévelop­pement de la compétence à se situer.

L’étude des tâches et des champs conceptuels reste indispen­sable à l’organisation des situations didactiques. Mais celle-ci doit être faite en considérant les conditions cognitives de la construc­tion des connais­sances, chez le sujet, qui se rapportent à l’impor­tance des ré­férents spa­tio-temporels. Certes, après Piaget, plusieurs auteurs ont mis à notre disposition de nom­breuses théories expli­catives du méca­nisme de cons­truction des connais­sances et des conditions dans les­quelles cela se réalise du point de vue cognitif, psycho-affectif et so­cial. Nous pensons aujourd’hui que la capacité à se situer intervient dans le développement des compétences de l’ensemble de ces do­maines. Parce qu’elle favorise la construction du sens (dans l’accep­tion polysémique du mot), elle permet d’abor­der la nouveauté et la complexité. Elle est à la fois constitutive et dépen­dante de la construc­tion de l’i­mage de soi, et participe ainsi à l’épa­nouissement et l’enrichissement du sujet, dans et par son envi­ronne­ment.

Notre intention initiale était dirigée vers une analyse des situa­tions didactiques dans la formation professionnelle. Nous nous proposions de repérer les contraintes imposées par les contenus à acquérir, d’a­naly­ser les représentations et les fonctionnements des sujets en for­mation et de formaliser des situations didactiques adaptées aux ob­jectifs de la formation.

Les premières rencontres avec les formateurs de “Médiation” nous fi­rent découvrir un contexte et des contraintes, dont la pré­gnance n’avait d’égale que l’importance des besoins auxquels ils devaient répondre, pour le public dont ils s’occupaient.

En effet, pour ceux qui sont le plus en difficulté, pour qui l’ac­tion a entreprendre est d’une ampleur sans égale et pour qui l’en­jeu indi­viduel et social est majeur, nous constations une précarité de moyens en per­sonnel, en argent et en temps, que les “grands dis­cours” sur la solidarité sociale ne laissaient pas présager.

Nous rencontrions, cependant, des formateurs et des formatrices mo­tivés, dynamiques et compétents, mais débordés.

On peut dire que leurs questions et leurs attentes étaient d’une im­por­tance comparable à leur désir “d’y arriver quand même”. Elles re­po­saient, rappelons-le, sur la formalisation de leurs pra­tiques, dont ils constataient les effets positifs sans pouvoir les jus­tifier théori­quement et ainsi dépenser moins d’énergie, en les ren­dant plus opé­rationnelles pour, peut-être, aller plus loin dans la réalisation de leurs objectifs.

Un certain nombre de problèmes les préoccupaient. L’absence de correspondance entre le niveau de connaissance évalué à l’entrée en formation et la capacité à acquérir des compétences dans les tâches pro­fes­sionnelles, non seulement les surprenait, mais les conduisait à ne plus se fier aux évaluations tradition­nelles, pour construire leur forma­tion. La recherche des éléments, sur lesquels se baser, et des processus, sur lesquels agir, les poussait confusé­ment à espérer une solution dans les méthodes d’éducabilité co­gnitive.

Ces problèmes nous ont entraîné dans une démarche qui nous a amené à “observer” le terrain de la formation, son public, ses for­ma­teurs, à rechercher, par des détours théoriques, des propositions expli­catives et des éléments de réponses permettant d’orienter l’ac­tion plus efficacement.

Un meilleure connaissance du public et de ses prin­ci­paux traits psy­cho­logiques a permis de dégager un aspect fondamental, dans le proces­sus de disqualification sociale, qui a éclairé les dé­marches des forma­tions à entre­prendre : la capacité à se situer. Centrale dans la probléma­tique d’in­sertion  elle s’est révélée un des facteurs sur le­quel la forma­tion pouvait agir, pour favoriser les compétences néces­saires permettant d’atteindre une de ses principales finalités : l’em­ployabilité.

Cette investigation a fait apparaître également que cette capacité est déter­minante et touche les domaines du temps, de l’espace, de la com­mu­nication et, corollairement, de la construction des connais­sances.

En poursuivant la recherche des conditions favorables au déve­lop­pement des compétences profes­sion­nelles chez des adultes peu quali­fiés, et pour répon­dre aux “comment” et “pourquoi” des for­mateurs, nous nous sommes tourné vers les méthodes d’éducabilité cognitive couramment proposées pour ce type de public.

Après avoir distin­gué et comparé leurs carac­téristiques et les in­di­ca­tions pé­dago­gi­ques qu’elles préconisent, nous en avons extrait un cer­tain nombre de prin­cipes. Nous avons pu montrer que nombre d’entre eux étaient à l’œuvre dans les pratiques de formation à “Médiation”.

La présentation des exemples qui ont suivi cet examen et des si­tua­tions de formation, font de notre recherche un travail de syn­thèse de l’expérience plus qu’un travail d’analyse en profondeur des fonction­ne­ments des sujets en formation, qui aurait pu fournir de nouvelles moda­lités didactiques pour ce type de public.

Dans ce domaine, de nombreuses questions mériteraient d’être ap­pro­fondies : Quels sont les erreurs, les obstacles sur lesquels les stagiaires tombent inévitablement ? Comment peut-on y remédier ? Lorsqu’un adulte entre en apprentissage, il le fait avec son réper­toire de connais­sances et d’affectivité. Il apprend dans tous les domaines à la fois en in­teraction avec autrui. Mais quelles compé­tences ces “naufragés de la vie” se reconnaissent-ils ? Quels sont les rapports entre ce qu’ils se re­connaissent et ce qui est néces­saire ? Comment favoriser la coordina­tion des procédures maîtri­sées isolément ? Le rôle et la place des réfé­rents spatio-temporels n’expliquent pas tout dans ce domaine. Le déve­loppement du sujet est-il similaire à son fonctionnement et l’acquisition de savoirs identique à la cons­truct­ion opératoire ?

Cependant, comme nous l’indiquions plus haut, si notre référence à la didactique pouvait nous inviter à approfondir ces questions, le présent travail avait pour objectif la recherche (nous pourrions dire plus glo­bale) des conditions d’animation, de gestion et de conduite des actions favorisant l’acquisition d’une compétence profession­nelle pour des adultes peu qualifiés et en difficulté d’insertion.

De ce fait, les divers axes de notre investigation (théories didac­tiques, théories de l’apprentissage, méthodes d’éducabilité cogni­tive, contrain­tes de la formation, spécificités du public, pratiques des forma­teurs, rôles des repères dans la construction des connais­sances, place de la complexité dans les situations de formation) ne concou­raient pas à démontrer la nécessité de l’éclectisme dans la formation, mais à faire converger vers la formation, dans les pra­tiques effectives sur le terrain, les divers apports de ces domaines. C’est la dimension “action” de cette recherche car, grâce au rôle de Véronique Bonnal-Lordon dans l’équipe de formation, ces ap­ports ont pu, au fur et à mesure, être directement ré­investis dans l’organisation des actions de formation. Pour cette raison, tout au long de cette étude, nous avons emprunté les détours théoriques qui nous paraissaient nécessaires, en même temps que la formation se déroulait et que de nouvelles ques­tions se posaient.

Dés lors, on peut s’interroger sur ce qui résulte globalement de ce travail outre l’impérieuse nécessité d’une formation théorique appro­fondie et ancrée dans la recherche, pour les formateurs.

D’une manière générale, même si, peut-on dire, ce qu’il paraît souhai­table de proposer à un public en difficulté ne doit pas être ignoré pour d’autres formations, c’est pourtant à partir des spéci­fici­tés de notre pu­blic que se sont dessinés les axes essentiels que doit privilégier la forma­tion, pour favoriser l’acquisition de compé­tences professionnelles.

Notre interrogation est partie du constat que les sujets dispo­saient des connais­sances qu’imposait la mise en œuvre de la com­pétence à acquérir, qu’ils ne sa­vaient pas les utiliser, ou qu’ils n’a­vaient pas perçu que celles-ci étaient nécessaires. Avec Véronique Bonnal-Lordon nous avons cherché les causes possibles de ce dys­fonc­tionnement. En même temps apparaissaient, chez eux, comme une perte des repères dans les rapports sociaux et dans leur histoire per­sonnelle, un isolement profond et une image de soi trés dévalo­risée.

Durant la période d’accueil, dans les entretiens, les situations de groupe, les quelques premiers exercices, se manifestait un déficit grave, dans les capacités du sujet à construire des repères qui se tra­duisait par de grandes difficultés à se situer dans tous les do­maines.

Nos investigations, auprès des formateurs et dans le dispositif de for­mation, ont révélé une sorte de malentendu entre les objectifs ex­primés d’évaluation et d’orientation et leur utilisation, ou plutôt leur absence d’utilisation à ces fins. A partir de leurs pratiques réelles, de nos ana­lyses théoriques et de nos hypothèses, nous avons réorienté explicite­ment les situations de formation.

L’adhésion des formateurs de “Médiation” à nos propositions nous a rapide­ment permis d’en ob­server les effets positifs, directe­ment per­ceptibles dans les attitudes et les productions des sta­giaires.

Nous pouvons affirmer maintenant que s’il faut d’abord restaurer et entre­tenir le sentiment de compé­tence, cela ne peut être obtenu sans un travail de reconstruction de l’image de soi. Cette transfor­ma­tion ne peut se réaliser sans que la capacité à construire des re­pères soit efficiente, en même temps qu’elle concourt elle-même à cette transformation. Pour cette raison, les situations de formation doivent privilégier la communi­cation, les confron­tations, l’échange. En effet, le changement de point de vue sur soi passe par l’accep­tation du point de vue des autres.

Nous en avons relevé l’importance en soulignant que les difficul­tés ne ressortissaient pas d’une incapacité à se décentrer de son point de vue propre, mais d’une incapacité à générer une représen­ta­tion com­plète d’un point de vue spécifique, liée à la diffé­rencia­tion perceptive de l’en­semble de ses points de vue propres, c’est-à-dire de points de vue diffé­rents construits sur un ou des repère(s) établi(s) et main­tenu(s) spécifi­quement constant(s). Alors, seule­ment la coordination des points de vue et les relations peuvent être perçues et utilisées. Nous avons pu ob­server, avec l’exemple des représen­tations gra­phiques, que, parallèle­ment à l’évolution que nous constatons, les sujets deviennent plus com­pétents dans les tâches qu’ils accomplis­sent. Ils s’organisent mieux. Ils prévoient. Les comporte­ments im­pulsifs sont moins fréquents. Leurs ac­tions sont de plus en plus adaptées à l’évolution de la situation.

Ce n’est pas encore suffisant pour que les savoirs nécessaires, même acquis, soient repérés comme pertinents, et utilisés.

Après avoir défini la compétence comme la “mise en actes de connais­sances adéquates au(x) but(s) déclencheur(s) et de capaci­tés d’adapta­tion de la conduite par rapport à une action”, nous avons souli­gné que l’élaboration de la représentation fonctionnelle de la conduite joue le rôle primordial dans l’acquisition ou la mise en œuvre d’une com­pétence.

Ensuite, nous avons montré le rôle central des repères spatio-tem­po­rels dans ce processus, et postulé que le défaut de constitu­tion (ou la disparition) des repères affecte la capacité du sujet à maîtriser les fonc­tions et les opérations mentales, nécessaires à la conduite et à la maîtrise de l’action.

La construction et l’adaptation de la représentation fonction­nelle de la conduite ne pouvant se passer de repères fixés par le sujet, un dé­ficit dans ce fonctionnement ne per­met pas l’alimentation et l’é­labo­ration d’une représentation de la conduite adap­tée. Grâce au rôle joué par la constitution de repères dans l’organisa­tion et l’u­tilisation de la connais­sance nécessaires à l’alimen­tation de la re­pré­sentation fonc­tionnelle de la conduite, la prévision, l’anticipa­tion et l’adaptation à la situation sont possibles.

La capacité à se situer dans l’action, à analyser plusieurs points de vue, à en adopter un comme référence dans un premier temps, grâce à la­quelle la représentation de la conduite s’enrichira et sera de plus en plus adaptée, nous paraît essentielle dans la réalisation d’une tâche, et donc dans l’acquisition des compétences.

Cette capacité peut être dé­veloppée à l’oc­casion de toutes les si­tua­tions d’apprentissage, si le formateur crée les conditions qui fa­vori­sent ce processus par sa vigilance, son atti­tude et ses interven­tions. Dans ce domaine, c’est-à-dire l’action dans et sur l’environ­nement, de nom­breuses prescriptions pédagogiques, rele­vées dans les mé­thodes que nous avons présentées, nous paraissent pouvoir servir de guide au for­mateur.

Pour nous, la plupart des erreurs, des échecs et des “mauvaises” réali­sa­tions des tâches pro­fessionnelles ont, le plus souvent, pour cause une pro­gram­mation défaillante de l’action. Elle serait due à un dysfonction­nement de l’alimentation de la représentation fonc­tion­nelle de la conduite lié à un défaut d’utilisa­tion des repères, plus qu’à une absence de connaissance, ou un “han­dicap” dans les capaci­tés logico-mathéma­tiques. On peut se demander si ce dernier ne pour­rait être lui-même causé par un dysfonctionnement de cet ordre.

Pour étayer cette hypothèse, une autre étude devrait être entre­prise afin d’éclairer le rôle des repères dans le mécanisme opéra­toire lo­gico-mathéma­tique et, notamment, dans le “repérage” et la mobilisa­tion des invariants et des propriétés. Le “spatio-temporel” ne serait-il pas, comme le propose D. Hameline (1979, p. 77), “une dimension de la vie mentale permettant un «fonc­tion­nement inva­riant de la pen­sée» selon la formule de Piaget : c’est-à-dire le sup­port même de toute capacité” ?

En outre, pensons nous, l’importance du sens que peut revêtir une si­tuation pour le sujet est trop sou­vent sous-esti­mée. Il nous semble que la présence ou l’absence de la prise en compte du sens de la si­tuation est une des va­riables explicatives de l’é­chec ou de la réussite des formations or­ganisées pour des publics en diffi­culté d’inser­tion. La validation de cette nouvelle hypothèse nécessiterait une recherche plus approfondie dans le domaine de l’organisation des situations di­dactiques, en particu­lier dans le “champ didac­tique” et la “mise en scène” des savoirs.

Cependant, c’est à partir de l’importance que lui donnent les théo­ries didactiques que nous avons eu le souci de privilégier ce point de vue par diverses approches, notamment en insistant sur la nécessité de for­tement contex­tua­liser les situations de formation profession­nelle. Celles-ci doivent être inscrites dans l’environ­ne­ment de l’exercice réel du métier. Les apports techniques ou tech­nologiques et les séquences de travail sur la maîtrise de la langue, de la lecture, l’écriture et des notions mathématiques doivent se dé­rouler dans le cadre de l’activité profes­sionnelle et sur le chantier. Ce qui ne veut pas dire que toutes ces activi­tés doivent être basées sur des pro­blèmes simples et des manipulations concrètes soi-disant “adaptés” au niveau du public, ni qu’une décontex­tualisation ne soit parfois né­cessaire à l’acquisition de certains concepts et à leur généralisation.

Nous avons examiné pourquoi l’enseignant-formateur doit veiller à ne pas confondre  simple et facile, complexe et compliqué, “facile à comprendre” et “facile à résoudre”. Les situations de formation doi­vent permettre l’accès à divers niveaux de complexité. Les si­tuations com­plexes mettent en jeu de nombreuses connaissances concernant les élé­ments conceptuels, leurs relations, le langage et la relation avec autrui. Elles favoriseront (rendront nécessaires) les opérations d’abstrac­tion, de symbolisation, la recherche des prin­cipes fonda­mentaux et des rela­tions, et permettront des collabora­tions, des confrontations et des prises de responsabilité. Alors seu­lement l’au­tonomie espérée pourra se réta­blir et les sujets pourront affronter des situations nouvelles et s’y adap­ter.

Au demeurant, la formation ne doit pas se limiter à ce domaine et les interventions du formateur être seu­lement orientées vers la réa­li­sation de la tâche, mais également favoriser l’é­volution de la connaissance que le sujet a de lui-même.

La confiance en soi et la com­pé­tence à communiquer, acquises par une plus grande con­nais­sance de soi, sont en congru­ence avec une amé­lioration de la maîtrise co­gni­tive des situations. Parce que le su­jet en formation se reconstruit. Lorsqu’il apprend, il acquiert des concepts, des notions mais il apprend aussi à construire ses outils cognitifs, à les utiliser, il élabore des représentations et il construit son identité per­sonnelle et sociale.

C’est pourquoi les objectifs de la formation doivent s’inscrire dans une perspective plus globale que les apprentissages spéci­fiques d’une compétence professionnelle. Les capacités à dévelop­per visent des compétences plus larges. Elles donneront sens aux activités, parce qu’elles prennent en compte le sujet avec son his­toire personnelle, son organisation intellectuelle, à travers des dé­centrations, des mises en perspective, des projections, des mises en relation. À cela partici­pent les différentes phases de la formation que nous avons présen­tées, orien­tées vers l’employabilité, telle que nous l’avons définie.

 Sans un travail sur la re-construction des repères, aussi bien per­son­nels, affectifs que cognitifs, qui permettront l’accession au sens de l’ac­tion et de la formation, et favoriseront l’acquisition d’une compétence pro­fes­sionnelle qui doit être proposée, parallèlement, dans des situa­tions de “réalité professionnelle” suffisamment com­plexes et allant vers plus de complexité, la formation risque de ne pas avoir les effets à long termes qu’on peut souhaiter.

Comment nous refuser, en ces dernières pages, de dépasser le cadre de la recherche et d’indiquer les bénéfices professionnels que nous avons pu tirer de ce travail, à titre personnel ?

Éducateur depuis plus de vingt ans, formateur de praticiens, puis formateur des formateurs et responsable pédagogique de la forma­tion des personnels éducatifs de la Protection judiciaire de la jeu­nesse au Ministère de la Justice, nous n’ignorions pas les problé­matiques per­sonnelles, familiales, sociales, des jeunes en difficulté d’insertion so­ciale, scolaire et professionnelle.

L’approche éducative de ces diverses problématiques puise es­sen­tiel­lement dans les champs théoriques de la psychologie cli­nique, “entourés” de quel­ques notions juridiques, d’informations sur quelques éclairages sociolo­giques des phénomènes de délin­quance et de margina­lisation et, depuis peu, d’une approche philo­sophique, anthropologique organisées autour de la probléma­tique du “lien so­cial”.

Lorsqu’il est question des apprentissages scolaires ou profes­sion­nels la réflexion (quand elle a lieu) se situe dans le courant des tra­vaux de B. Gibello et de P. Higelé pour les dysfonctionnements et les mécanismes opératoires logico-mathématiques, d’une part, et dans le courant des propositions de J. Foucambert pour la lecture-écriture, d’autre part. C’est dire si le champ est restreint dans ce domaine.

Les approfondissements, que notre étude nous a demandés, nous ont permis de porter un regard nouveau sur les problématiques dans les­quelles se trouvent ces adolescents et jeunes adultes en difficulté, à l’en­trée de la vie sociale.

A aucun moment nous n’avions perçu, comme aujourd’hui, l’im­por­tance de la compétence à se situer et la relation entre la construc­tion des repères et l’image de soi, dans les trajectoires, les problèmes et les difficultés, les attitudes de ces jeunes.

Dire que la restauration de la capacité à construire des repères ré­soudra les difficultés et s’avérera décisive pour leur réinsertion serait dépasser notre pensée. Mais nous militerons maintenant pour, qu’à mi­nima, on tienne compte de cet aspect dans les actions édu­catives et dans les dispositifs de formation qu’on met en place pour ces jeunes, mais aussi pour les éducateurs en formation eux-mêmes. Déjà, nous soute­nons des études, des recherches et des expérimen­tations dans ces sec­teurs au sein de la Protection judiciaire de la jeunesse.

Enfin au moment de conclure ce travail, nous ne pouvons passer sous silence le plaisir et l’intérêt que nous avons ressenti à travail­ler avec les adultes en stage à “Médiation” et leurs formateurs ni la part que Véronique Bonnal-Lordon a prise dans notre réflexion et la réali­sation de cette recherche.


[1] Témoignons, ici, de l’effort notable que le Centre de formation continue de Paris V est entrain de réaliser pour remédier à ce probléme en introduisant, dans la formation au PEI avec M. Sorel, M. Roger et S. Borie notamment, les principes de l’organisation des actions didactiques et une véritable réflexion sur l’action du formateur.