Extraits de l’introduction de la thèse
en 1994, nous écrivions en introduction :
Dans cette dernière décennie, le problème des “laissés pour compte” des restructurations économiques est toujours d’actualité : nombreux sont les sortants ou les exclus du système scolaire sans avenir socio-professionnel. On ne parle plus de leur bas niveau intellectuel (qui les renvoie ainsi dans une marginalité inéluctable) mais de “bas niveau de qualification” ! Cette nouvelle appellation révèle bien la primauté d’une préoccupation économique. Dans notre société industrielle, il est clair que le niveau se définit non en lui même mais par rapport aux compétences sollicitées par le poste de travail dont l’exigence augmente avec l’évolution technologique. La notion de bas niveau, qui renvoie à la faiblesse des capacités d’adaptation corrélée aux difficultés d’insertion professionnelle (chômeur de longue durée), présente donc un caractère équivoque et relatif. On peut certes prendre en considération les implications sociales de cette condition : par exemple, l’accès à l’éducation, la possibilité réduite d’avoir pu bénéficier d’un capital culturel permettant un réelle intégration sociale et professionnelle [1]; mais ils est toujours difficile d’échapper à la relativité des critères retenus, selon les lieux et les époques. Le discours dominant était celui de l’inadaptation liée à des aptitudes individuelles, à des handicaps sociaux.
Aujourd’hui le problème est plus complexe et inquiète les institutions et les élus locaux, confrontés au risque de la marginalisation d’un nombre croissant d’individus. En effet, la perte d’un emploi peu qualifié entraîne le plus souvent dans un engrenage d’exclusion professionnelle et sociale. Le problème n’est pas nouveau, mais l’environnement socio-économique et les nécessités politiques le réactualisent avec plus d’acuité. La faillite du système scolaire devient plus criante lorsqu’on découvre que ces “bas niveaux” ne sont pas les débiles d’antan. “Avec le traitement social du chômage, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs de formation visant «l’élévation du niveau», elle-même devant améliorer l’«employabilité» de ces chômeurs. Les formateurs se sont vus sollicités par les pouvoirs publics pour œuvrer à la lutte ainsi conçue contre l’exclusion.” (F. Ginsbourger, 1992) [2].
La classe politique, à cause du chômage et de ses conséquences électorales, les industriels, en termes de concurrence et de productivité, et surtout les intéressés eux-mêmes, au nom du droit au travail, chacun est concerné.
Les industriels redécouvrent le capital formation et son investissement dans l’entreprise. Il est plus rentable d’adapter le personnel à de nouvelles fonctions que de licencier et d’embaucher. Mais il faut qu’il soit adaptable pour supporter la transformation des postes de travail et l’évolution des techniques. Les moyens utilisés jusqu’ici (élévation du niveau scolaire) pour parvenir à ce résultat semblent inefficaces lorsqu’ils sont mis en œuvre auprès de publics adultes dits de “bas niveau”.
Ces derniers, paralysés par leurs handicaps et les difficultés qu’ils rencontrent, se trouvent le plus souvent dans un processus d’exclusion sociale lié à l’évolution économique. Selon la typologie que Serge Paugam a constituée, dans son étude de la “disqualification sociale” (1991 p. 31), ils sont plus ou moins “fragiles”, “assistés”, ou “marginaux”. La “logique” de l’assistance est vécue le plus souvent comme une “épreuve humiliante qui peut introduire un changement profond dans l’itinéraire moral d’un individu” (op. cit. p. 25), marquant l’ensemble de son rapport avec autrui. Ce phénomène de disqualification sociale peut guider les démarches de formation à entreprendre.
En effet, la capacité à se situer se trouve centrale dans la problématique d’insertion et semble être, en même temps, une conséquence de cette situation. C’est un des facteurs sur lequel la formation peut et doit agir pour favoriser l’acquisition des compétences nécessaires permettant d’être employé.
Nous allons nous efforcer de dire comment (en sollicitant les apports de l’approche didactique, des théories de l’apprentissage et des méthodes pédagogiques), pourquoi (par un certain nombre de constats), et dans quelles conditions, cela est réalisable. C’est à l’accueil en formation qu’on se rend compte à quel point ces situations sont fréquentes et massives dans l’histoire des individus. Ces traits psychologiques se sont révélés être d’une telle fréquence et prenant une telle importance dans la formation, que nous les avons considérés comme déterminants et devant faire l’objet d’une attention particulière : ils cernent la capacité à se situer dans le temps, l’espace, la communication et, corollairement, dans la connaissance.
En faisant une description analytique de nos observations nous proposerons un nouveau point de vue explicatif et de nouvelles approches théoriques concernant les mécanismes d’apprentissage permettant d’élaborer des principes généralisables dans le domaine de l’éducation, en général, et de la formation professionnelle, en particulier.
(…)
Nous ne sommes pas orienté vers une recherche de connaissances scientifiques de lois mesurables mais plutôt vers une recherche pragmatique, de connaissances pédagogiques et reproductibles, qui interroge les résultats pour synthétiser, sous forme de théorie confrontée à la pratique tournée vers la réalisation de projets éducatifs, pédagogiques, de formation.
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[1] Cf. la notion explicative de “déprivation culturelle” proposée par Feuerstein que nous présenterons plus loin.
[2] Le nom des auteurs et l’année d’édition de l’ouvrage cité servent de référence vers la bibliographie, elle-même suivie d’un index permettant de retrouver, dans le corps du texte, les citations ou références attachées à ces auteurs.
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