La lettre en polonais

La lettre en polonais

texte de la lettre en polonais

la lettre distribuée était manuscrite

Le groupe est constitué de treize femmes de 20 à 35 ans d’ori­gines très diverses (en majorité africaines et nord-africaines) qui ne savent ni lire ni écrire dans leur langue d’origine mais qui ont “un peu ap­pris” le français en France. Ce sont les interventions du for­mateur qui ont été enregis­trées et filmées, parce qu’on voulait mon­trer que ce n’était pas lui qui donnait la traduction, même si ses in­terventions pouvaient induire la direction ou les “objet-in­dices” de recherche. Il passera de groupe en groupe.

 

Lire la suite… (description et analyse de la situation ci-dessous)

À la suite de cet exemple, il nous paraît indispensable, de si­tuer la part du prétexte, de la méthode et de la médiation qui s’atta­chent à l’intérêt de ce type de situation, et des situations com­plexes en géné­ral, comme conditions favorables à l’acquisi­tion des compé­tences né­cessaires à notre public.

Cette situation n’est pas un modèle d’apprentissage du fran­çais. Nous ne disons pas qu’on peut apprendre à lire et à écrire le fran­çais en traduisant du polonais.  Le polonais n’est, ici, qu’une “interface”, un détour, permet­tant de susciter des comportements d’analyse et de prise de conscience des capacités, là où se pro­duit, le plus souvent, le rejet et le sentiment d’échec. C’est la part du prétexte.

Mais c’est, quand même, une situation d’apprentissage à la lec­ture. En effet, les recherche menées par l’AFL[1] ont montré que le pilotage de la lecture est assuré par la compréhension, par le sens. L’acte de lecture est le moyen d’interroger l’écrit, en devi­nant d’a­bord, puis en prélevant le maximum d’indices. “L’œil est à la re­cherche des élé­ments dont il a besoin pour construire, à partir de ce qui est déjà connu, du sens … La lecture n’est pas la transmis­sion d’un message mais une construction induite” (J. Foucambert, 1989, p. 70).

Nous pensons qu’on peut généra­li­ser cette caractérisation à la vie quoti­dienne et profession­nelle.

La prise de conscience, l’appren­tis­sage de la recher­che des rela­tions, de la structure qui relie, de ce qui, finale­ment, permet d’ac­cé­der au sens à partir de ce que l’on connaît déjà, pourrait s’ap­paren­ter à une “mise en scène du savoir” du sujet.

En même temps qu’elle permet de faire accéder à la prise de conscience de l’intérêt d’une recherche d’informations, d’in­dices, de formu­la­tions d’hypothèses, de mises en relation, de dé­ductions, d’an­ticipa­tions, de vérification, elle offre l’occasion d’apprentis­sages plus académiques tels que : l’orthographe, la grammaire, la syntaxe et la logique mais, également, différents codes, diverses normes et/ou de savoirs en mathéma­tiques, par exemple, en faisant varier le support.

On proposera, ensuite, des textes un peu plus compliqués (plus d’­éléments et d’informations) et on ajoutera des degrés de com­plexité (plus d’opérations à mettre en jeu et plus de relations entre les élé­ments) sur des supports plus proches de l’actualité et/ou de l’environ­nement profession­nel. Au fur et à mesure on choisira des “interfaces” plus latines, c’est-à-dire l’espagnol ou l’italien, puis des textes en français suffisamment complexes pour provoquer la recherche.

Le travail sur des textes s’impose pour des motifs qui dépas­sent le seul apprentissage de la lecture et de l’écriture. En effet, les opé­ra­tions de pensée nécessaires à la compréhen­sion et à la pro­duction d’un texte dévelop­pent des capacités sollicitées par d’autres do­maines comme, par exemple, les compétences syntag­matiques car, en repre­nant une expression de G. Vergnaud, “le syntagme est à la phrase ce que le schème est à l’action”.

Dans ce type de situation-problème les schèmes “actuels” ne fonc­tion­nent pas (nous l’avons dit, sous une autre forme : utilisa­tion des savoirs spontanés). Parce que “c’est du polonais” le sujet s’autorise à poursuivre.  L’occasion donnée déclenche un fonc­tionnement, par analogie (repré­sen­­ta­tions empruntées aux do­maines connus) et com­paraison, qui favori­sera la recherche des propriétés et des invariants. Il s’agira de dépas­ser les “obser­vables” (simple repérage perceptif) et d’identifier les phé­no­mènes et, inversement, de passer d’un problème à un mot pour interroger (concep­tualisa­tion opératoire), de saisir la différence entre la pertinence pour soi et la pertinence selon la situa­tion.

Les situations complexes obligent à mettre en œuvre des opé­ra­tions, des capacités et des compétences, à aborder des pro­blèmes que les adultes de notre public n’arrivent pas à réaliser et à ré­soudre, avec des situations simples. Mais, comme le souligne G. Malglaive (1990 p. 275), le niveau de complexité d’une tâche est aussi relatif à la per­ception de l’acteur selon les élé­ments “de sa­voirs (permettant de ca­ractériser la situation, d’en­visager une pro­cédure, etc.)” dont il dis­pose et qu’il peut mettre en relation par des “activités mentales de dif­férents types (cognition, formalisa­tion, thématisa­tion) nécessaires à la réalisa­tion de la tâche, qui pour lui sera alors simple dans un cas ou complexe dans l’autre”.

Le choix de la progression, la construction et l’animation de la si­tuation de formation reviennent au formateur. Grâce aux dia­logues, à l’écriture, aux confrontations et à la réussite finale, se­ront crées les conditions pour que l’explicitation et la symbolisa­tion apparaissent fonctionnelles. C’est l’objet de la mise en scène di­dactique. C’est dire, encore une fois, l’importance que revêt la for­mation des enseignant-formateurs.

 Au regard des effets de revalorisation par la réussite qu’elles pro­duisent, chez les “traducteurs”, les situations du type “lettre polo­naise” doivent être utilisées comme un attracteur au début d’une pro­gression d’apprentissage, à la distanciation et à la re­cherche, face à toutes situations nouvelles. C’est la part de la mé­thode.

Conçues comme des situations de médiation, l’orientation des ac­tions auxquelles nous proposons de confronter le sujet, doit tendre à lui fournir l’occasion de se confron­ter à des significa­tions, des points de vue, qui lui permettent de se situer dans son environ­ne­ment, de cons­truire des repères par des verbalisations favori­sant : la construc­tion des connais­sances et du sens, l’élabo­ration, l’ap­pro­priation, la géné­ra­lisation.

Ce sont des dimensions que de nom­breuses mé­thodes pédago­giques affirment prendre en compte. Cepen­dant, il nous est ap­paru que les capacités qu’elles offrent de développer sont dif­fici­lement at­teintes chez notre public. Trop décon­textuali­sés et sans contenu ap­parent, les situations et les exercices que proposent ces mé­thodes semblent n’a­voir aucun sens et être plus ou moins infantili­sants.

Pour cette raison nous préconisons de solliciter les mêmes types de performances dans les tâches professionnelles – comme la lec­ture d’une notice de montage (éléments de plafonds, de cloisons, de ferme­ture, etc.), de composition et d’utilisation d’un produit (colles, pein­tures, dil­luants, sécatifs, collorant, etc.), de plan, etc. – mais non seu­lement dans la lec­ture mais aussi dans l’exécution d’une tâche (représentation fonctionnelle de la conduite).

Les situations complexes créent une rupture avec ce qui est fami­lier, une destabilisation parce que les solutions déjà prêtes ne “fonctionnent” pas. Mais cette impression de ne pouvoir repro­duire ce qu’on sait déjà peut générer une émotion qui peut blo­quer la dis­ponibilité au raisonnement. Le formateur qui propose de telles si­tua­tions doit être vigilant aux moyens qu’il propose, aux disposi­tifs de régulation qu’il favorise pour développer, chez le sujet cette capacité à risquer. C’est la part de la médiation.

 Celle-ci lui permettra, en restant disponible à soi-même, de vivre la complexité, de pouvoir mobiliser ses ressources, sans être envahi par la peur de l’échec possible. Cette prise de distance avec l’ac­tion permet d’en saisir les propriétés, d’en dégager les inva­riants qui per­mettront les transferts, la généralisation et ainsi de dévelop­per l’auto­nomie.


[1] Association française pour la lecture.

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